NDLR : Salut à tous. Je partage avec vous cet article paru sur un site que j'ai découvert il y a peu et qui suit l'actualité du jeu vidéo sur Linux.
Ceci est n'est qu'une traduction de l'article original dont l'auteur [dudit article] détient tous les droits et assume toutes les opinions y étant exprimées. Les droits de toutes les images utilisées dont l'article sont également réservés à leurs auteurs respectifs.
Il convient de noter que si un quelconque sentiment anti-nippon venait à transpirer de cette article, la faute en reviendrait plus probablement à mes capacités limitées de traduction plutôt qu'à l'auteur de l'article original.
Sur ce, bonne lecture !
Source :
http://boilingsteam.com/picturing-a-black-hole-japanese-games-on-linux/
Les jeux vidéo japonais sur Linux [ou Windows] : un trou noir
23 Décembre 2014
Ces derniers temps, l’on constate que de plus en plus de développeurs et d’éditeurs de jeux supportent Linux. Bien sûr, il faudra attendre encore looongtemps avant que Linux ne devienne une alternative sérieuse et établie dans l’industrie, mais on a tout de même assisté à de grands progrès au cours de ces 2 dernières années. Il y a cependant une ombre au tableau : ceci reste une tendance intrinsèquement occidentale. Il existe clairement un élément qui demeure inchangé depuis que Valve a commencé à pousser l’industrie vers Linux : l’absence de titres venant de développeurs [et d’éditeurs] japonais.
Et cela n’est pas près changer. Précision : Je vis au Japon et peux en partie expliquer le pourquoi de cet état de chose. De toute évidence, cela n’augure rien de bon pour l’industrie vidéo-ludique japonaise. Allons-y par points clés.
1. Au Japon, PC et Jeu vidéo ne riment pas.
Rendez-vous dans n’importe quel magasin vendant des DVDs et des jeux vidéo au Japon, et voici ce que vous y trouverez : des jeux pour consoles. Surtout pour la 3DS, la PS3, la PS4, la WiiU. Et si vous êtes très chanceux vous en trouverez aussi pour Xbox360 et XboxOne dans un coin juste à côté des toilettes (J’exagère, mais à peine – la plupart des magasins n’ont même pas d’espace Xbox). Et c’est tout. Pas de jeux PC. Pas d’ordinateurs. Le jeu vidéo est une affaire de console, et les choses sont ainsi au Japon depuis l’ère de la Playstation. Avant cela, il y avait bien une importante communauté de joueurs sur MSX, mais cette communauté a disparu tout comme la console qui l’avait fait naître. La MSX, une singularité bien établie au Japon mais peu connue à l’extérieur de ce dernier. Doux souvenirs.
Il existe toujours des jeux publiés pour les joueurs PC, mais vous n’en trouverez guère que dans les magasins d’électronique (tels que Yodabashi Camera, par exemple), au sous-sol, un endroit où peu de gens se rendent. Vous y trouverez quelques jeux récents pour PC, mais finalement peu nombreux et à la promotion inexistante. Le jeu vidéo sur PC au Japon est également envahi par les « dating sim » et pire encore (oui, les jeux à caractère p****graphiques), ce qui implique que vous ne devriez probablement jamais publiquement déclarer que vous êtes un joueur PC au Japon. On ne sait jamais, mais vous pourriez donner TRÈS mauvaise impression. Si vous allez à des endroits tels qu’Akihabara à Tokyo, dans certains magasins spécialisés vous trouverez une vibrante communauté « indie » pour PC avec pas mal de productions cool, dont beaucoup de shooters, vendus à 3000 JPY* ($30) l’unité ou plus. Mais il n’existe rien de tel ailleurs [au Japon].
*NDT : Soit un peu moins de 20,50 €.
Ne vous faîtes donc aucune illusion : lorsque j’affirme que le jeu vidéo sur PC est quasiment non-existant au Japon, cela demeure très vrai en 2014, quelle que soit la situation ailleurs dans le monde. La raison pour laquelle certains titres initialement exclusifs aux consoles sont portés sur PC n’a aucun rapport avec le marché japonais du jeu vidéo sur PC – ce sont les marchés européens et américains qui sont à l’origine de ces portages.
2. Steam est virtuellement inconnu au Japon.
Ceci est très lié au premier point, d’autant plus encore que Steam est un produit américain dont le support au Japon était quasi-inexistant jusqu’à très récemment. Il y a en général très peu de jeux japonais distribués sur Steam. Cela tient au fait que la plateforme est inconnue ici [
au Japon]. La principale raison pour laquelle on voit apparaître certains jeux japonais sur Steam, tels ceux de Capcom, découle de ce que ces derniers sont devenus une multinationale (à tel point qu’un titre comme Resident Evil/BioHazard est développé quasiment 24/24h grâce à trois équipes basées dans différents pays), et ont des experts commerciaux en Europe et aux US qui savent ce que représentent Steam.
Toutefois Capcom est une grosse exception parmi les éditeurs japonais. Et parmi ceux qui se focalisent sur le marché japonais et pour qui l’international vient toujours après-coup, Steam demeure totalement invisible.
3. Les éditeurs japonais sont à la ramasse quant à ce que se passe à l’international.
Étant récemment au TGS 2014, il m’est arrivé de discuter avec des développeurs qui font dans les jeux
indies, et il y avait là des étrangers et des locaux. Le fossé culturel était terrifiant à observer. Les développeurs japonais ciblaient la PS4 et potentiellement la Playstation Vita, alors que les développeurs étrangers faisaient de Steam leur priorité, et pensaient éventuellement à des consoles comme la PS4 ou la WiiU ensuite, avec l’idée d’une cerise sur le gâteau. De plus la plupart des développeurs
indies étrangers connaissaient Linux, et une bonne part d’entre eux prévoyaient son support, sinon en envisageait au moins la possibilité. Cela m’a étonné de voir à quel point les développeurs japonais étaient inconscients vis-à-vis du jeu vidéo sur PC, qui représente potentiellement un marché bien plus important que celui actuel de la PS4 dont ils espèrent tirer profit.
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http://i.imgur.com/4vzZMS4.png[/img]
Mais voyez-vous, il ne s’agit pas juste du jeu vidéo. Presque tout est concerné par ce constat dans la société japonaise :
Les japonais ont en grande majorité une mentalité insulaire, de sorte qu’ils ne sont pas très intéressés par ce qui se passe à l’extérieur de l’archipel à moins d’y déceler une menace. Si vous n’êtes pas convaincu, regardez l’histoire de Sega* et souvenez-vous du gouffre culturel qui séparait la société mère japonaise et sa branche américaine à l’époque de la Megadrive et de la Saturn. Ce devrait être un cas d’école pour toute personne étudiant les relations interculturelles. Bien sûr Internet existe, mais en ce qui nous concerne ici, cela n’a pas changé grand-chose. Le Japon ne possède peut-être pas de « Grand Firewall de Chine »**, mais il en a un, culturel celui-là, qui est tout aussi efficace que sa version chinoise pour empêcher les idées de circuler.
*
NDT : L’auteur fait peut-être référence à cet excellent documentaire d’IGN. Sinon, les problèmes qu’il évoque sont largement connus et reconnus.
** Surnom donné au gigantesque pare-feu qui filtre les échanges entre l’Internet chinois et le reste du monde, souvent à des fins de propagande.
4. Le Japon aime Windows et Mac.
Je fréquente des cercles de la culture « hacker » au Japon, et on peut très clairement observer une chose localement : Quand on est développeur ici, toute votre formation consiste à développer par Windows, pour Windows. Allez dans n’importe quelle librairie et la masse de documentation en japonais traitant du développement sous Windows domine très large tout le reste***. Depuis le succès retentissant de l’iPhone et l’iPad, les japonais sont aussi devenus fans des Macs, et les ordinateurs à la pomme sont devenus les derniers objets « cool » à exhiber dans les cercles de développeurs. Après tout, les macs sont tellement ‘cools’ que leur aura vous rend aussi cool grâce à l’effet de halo**** n’est-ce pas ? Donc, à l’heure actuelle au Japon, le développement de logiciels cible d’abord Windows ET iOS, avec Mac en bonus.
*** NDT : Dans les rayons informatiques je suppose.
**** NDT : Dit « effet de notoriété, ne pas confondre avec la franchise de Bungie. Aucun rapport… ou presque.
»
Alors que le Japon est l’un des seuls pays où l’iPhone possède encore une large part de marché (près de 40%), Android peine toujours à s’y faire reconnaître. Dans ce contexte, Linux représente moins encore qu’un minuscule marché de niche. Il existe cependant une petite communauté Linux au Japon et au moins un magazine consacré à cet OS, quoique le nombre réel d’utilisateurs demeure un mystère. Quant aux dits magazines, à chaque fois que j’en feuillète un, on n’y parle que de logiciels créés ailleurs et des manières de s’en servir localement. Jamais on n’y évoque quelque chose fait par un japonais ou un groupe d’utilisateurs japonais. Ceci signifie probablement que la communauté Linux japonaise est constituée plus d’utilisateurs que de développeurs actifs.
Il faut tout contrôler, le partage est l’exception.
Cette mentalité n’est pas directement liée au jeu vidéo sur Linux, mais a néanmoins une influence dessus. Le développement de logiciel au Japon est une chose très propriétaire*****. On n’y voit quasiment jamais de vieux jeux soudainement devenir
Open Source, et on voit peu de japonais sur Github ou des plateformes similaires de partage de code. Il y a bien quelques développeurs ici qui suivent cette tendance, mais ils sont vraiment minoritaires. Ce genre de comportement est dommageable, car si des entreprises sont intéressées par le portage de jeux sur Linux mais n’ont aucune compétence ou connaissances en interne, elles choisiront d’abandonner le projet plutôt que de partager leur code source avec des entreprises tierces spécialisées telles qu’Aspyr ou Feral (là encore, peu de chances que ce soit une entreprise japonaise). C’est une manière de faire qu’on observe aussi pour les portages vers Windows. La majorité d’entre eux sont réalisés en interne par les studios japonais, quoique le résultat final laisse souvent à désirer quel que soit les efforts investis.
***** NDT : Le logiciel fermÈ ou logiciel propriÈtaire est le logiciel dont líauteur dÈtient les droits exclusifs
(droits díauteur ou brevet) et traite le code source comme un secret commercial.
[
KOF XIII (ci-dessus) de SNK était vraiment un bon portage vers Windows, réalisé en interne – mais hé, il a été fait par un étranger travaillant chez SNK !].
Et donc voilà. Si l’on considère cet ensemble de facteurs, je peux vous affirmer qu’ils constituent un frein puissant à toute forme de portage de jeux japonais vers Linux dans un futur proche. Certes, il y aura toujours des exceptions (
Hatoful Boyfriend récemment), mais elles ne sont jamais qu’une goutte qui a filtré du vaste océan des créations digitales japonaises.
EKIANJO
Traduit par Darkeox
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Et voilà. Je tiens à dire que j'ai trouvé cet article très intéressant et perspicace dans la manière dont l'auteur aborde les causes des problèmes qu'il liste et leur conséquence.
Je crois que nombre d'entre eux sont suffisamment vrais et démontrés par l'expérience pour qu'on puisse s'accorder sur le fait que l'auteur ne se veut pas réducteur envers la culture japonaise mais plutôt pragmatique quant à ce qui ne marche pas et pourquoi.
Il convient toutefois pour ma part d'y donner un ton plus optimiste :
Après tout, on oublie un peu vite les sorties récentes de FF XIII et XIII-2 sur Windows, assez réussies malgré quelques accros techniques.
Sans omettre l'entrée fracassante de Konami dans la place avec la sortie prévue de MGS V et les débuts prometteurs du Fox Engine sur Windows (il y avait PES avant mais ce n'est pas la même chose...) via Ground Zeroes.
Cette fin d'année 2014 annonce des lendemains moins sombres qu'ils n'y paraît concernant la présence des éditeurs japonais sur Windows, et surtout de leurs licences phares.
Mais bien évidemment, le constat global reste qu'on est toujours bien loin de versions Linux, sans parler de performances à peu près égales lorsqu'elles existent.
Sinon, on peut remarquer aussi qu'effectivement, la plupart des jeux japonais ou plutôt des jeux "japonisant" qui ont réussi à atterrir sur Linux via Steam sont des "dating sim".
Cependant il n'y a rien d'étonnant à cela : la plupart sont des traductions en anglais de jeux existants par la team
Sekai Project, une équipe de fantrad (au nombre de leurs réalisations, on pourra citer le légendaire visual novel CLANNAD) qui a fini par se professionnaliser jusqu'à pouvoir obtenir des licences d'exploitation et proposer leur travail sur Steam en toute légalité.
Il semble qu'ils comptent dans leurs rangs un ou deux linuxiens qui ont su convaincre qu'il valait la peine de sortir des jeux sous Linux.
Ce n'est pas le genre de tout le monde mais l'effort a le mérite d'avoir été fait et doit être salué !
Voilà, le panorama n'est donc pas si sombre concernant les joueurs PC qui apprécient les JRPGs et autres licences nippones typiques.
Du moins pour les utilisateurs de Windows : la route demeurera longue encore un bon moment sous Linux j'en ai peur.
Darkeox