Bonjour tout le monde, vous n’êtes peut être pas sans savoir que la biographie de
Suda Goichi s’apprête à sortir le mois prochain dans la collection « Les Grands Noms du Jeu Vidéo » chez
Pix’n Love -en tout cas vous voilà prévenu si ce n’était pas le cas- et nous avons eu l’opportunité d’interroger
Mehdi Debbabi Zourgani, co-auteur avec
Florent Gorges de l’ouvrage.
-Salut Mehdi, peux-tu te présenter brièvement pour nos lecteurs ?
Toujours compliqué mais pour faire court disons que je suis podcasteur depuis 5 ans sur l'émission Je Game Moi Non Plus, animateur sur la webtv JVTV de jeuxvideo.com depuis la rentrée et auteur pour Pixn'love de la biographie de Suda51 avec Florent Gorges mais on risque d'en parler plus tard ! J'ai aussi régulièrement des projets et interventions autour du jeu vidéo à mon actif.
-L’initiative d’une bio sur Suda 51 vient de toi ? Comment s’est opérée la collaboration avec Florent Gorges et Pix’n Love ?
Oui effectivement cela remonte à quelques années. J'avais démarché Pixn'love auparavant pour des propositions d'articles. Florent Gorges était initialement prévu comme « simple » interprète/traducteur. Il a finalement manifesté son intérêt pour le projet et surtout que cela lui semblait plus cohérent d'en être co-auteur sur un projet d'aussi longue haleine et le projet solo est devenu duo.
2011 a été l'année où j'ai rencontré Suda51 en coup de vent et surtout Akira Yamaoka. Ce qui est amusant c'est que j'avais aussi des idées de projet avec Akira Yamaoka (toujours le cas mais chut je reviendrai en parler à l'occasion) et de fil en aiguille l'été suivant on se retrouvait dans les locaux de Grasshopper. Suda51 était trop pris par le travail donc je n'ai pas pu confirmer le projet mais l'idée était posée auprès de lui et notamment auprès de Kazuyuki Kumagai l'agent de Suda51.
L'essai s'est transformé au Toulouse Game Show en 2012. L'idée était déjà validée après des échanges mails mais la parole a été donnée au Toulouse Game Show. Avant le contrat !
-Quel temps de réalisation pour le bouquin et combien de rencontres avec Suda ?
En soi le temps de réalisation n'était pas si long. Ce sont les temps de validation et tous les détails invisibles (correction, coordination avec le responsable de la maquette du livre, etc...) qui ont parfois ralenti le processus.
Parfois des logiques de copyright au niveau des droits d'images lors de collaborations n'ont pas aidé. Au hasard le casse-tête Killer7 ou Shadow of the Damned voire Lollipop Chainsaw où d'autres grands éditeurs/développeurs/producteurs étaient de la partie (Capcom, EA et Warner respectivement). Après il y avait aussi bien entendu les réalités éditoriales de Pixn'love qui sortent des ouvrages en flux tendu ce qui ne facilite pas les choses !
-Comment se sont passées les rencontres dans leurs locaux ? Quelle liberté aviez-vous ? Contrôle de GungHo (société ayant racheté Grasshopper Manufacture) ?
Lors des premières rencontres Grasshopper n'avait pas encore été racheté par Gung Ho mais de manière générale je dirais que cela n'a pas changé grand chose. Même après pour tout dire on restait avec Suda51 et son agent pour seuls interlocuteurs et les rapports n'ont pas changé.
Pas de pression si ce n'est sur des détails évidents. Une année alors que j'étais dans les locaux de Grasshopper , ils bossaient à la finalisation de Killer is Dead. La seule obligation était de ne pas prendre les écrans des membres de l'équipe en photo. Aussi logique qu'une interdiction de photographier dans un autre studio pour les mêmes raisons. On les respecte. D'autant que la biographie ne se focalisait pas sur une exclu à tout prix mais surtout sur le parcours de Suda51.
-Alors il est comment Suda ? Il apprécie que des étrangers lui dédient une biographie ?
Sans trop rentrer dans les détails, car cela figure dans la conclusion de l'ouvrage, Suda51 était comme beaucoup de créatifs japonais dans le jeu vidéo. A savoir fasciné qu'on vienne lui proposer de dédier un livre à son travail. Cela lui permettait aussi de faire un point sur sa carrière.
Au-delà de ça il était (et reste!) très marrant et curieux de tout. Il restait un gestionnaire de société donc avait un temps limité (et encore on a été assez vernis de ce côté là) mais les échanges semblaient vraiment l'intéresser. Et pas seulement par politesse japonaise !
Bon après on parlait catch, cinéma et mangas moi et lui donc ça aidait !
-Une anecdote particulière à nous raconter durant vos entretiens ?
Oui il y en a plein ! Je vais rendre hommage à Fred (Frederico Anzalone qui a bossé sur la maquette) du livre. Lorsqu'il a rencontré Suda51 avec moi au Japon il a présenté ses illustrations et ce dernier avait pas mal apprécié. Sans surprise il y en avait pas mal très soignées mais avec des visuels très trash. L'une était sur le thème « Industrial Seppuku » et a bien plu à Suda51 qui s'est fendu d'un « Ooooooh » si caractéristique des japonais lorsqu'ils marquent leur surprise !
-Pour celles et ceux n’ayant jamais acheté un bouquin de la collection « Les grands noms du jeu vidéo » chez Pix’n Love, peux tu nous expliquer comment va se présenter le bouquin ? (nbre de pages, section jeu détaillée ? Etc)
De manière très simple, à savoir chronologique. Et sinon c'est un beau bébé. 336 pages ce qui en fait le plus volumineux, sauf erreur de ma part, de la collection !
Florent (Gorges) a écrit la première moitié de l'ouvrage. De la naissance de Suda51 à son départ du studio Human pour fonder Grasshopper. Et moi j'ai pris le relai. On tentait bien sûr de ranger les jeux, dans certains cas, par axes thématiques. Mais on est resté sur la base de l'évolution du studio qui semblait le plus cohérent avec la série d'ouvrages de la même collection de Pixn'love (Les grands noms du jeu vidéo).
Enfin l'idée était pour moi de faire que le pari, vu l'identité très visuelle du studio Grasshopper, que le livre tente même des gens très étrangers au jeu vidéo. Des personnes du domaine des arts graphiques, de la pop culture au sens large (bd, ciné, mangas, comics) et même des personnes curieuses en tout genre !
-Question plus pénible, des regrets sur ce premier ouvrage ?
Oui bien entendu. C'est le perfectionniste qui parle mais je pense qui si je n'en avais pas je ne serai pas satisfait du résultat final paradoxalement ! J'arrête ma philosophie de comptoir pour dire qu'il y en avait deux principaux.
Le premier est une obsession et une interrogation sur le statut des créatifs dans le jeu vidéo. Bien entendu le livre sort dans la collection « Les grands noms du jeu vidéo » des éditions Pixn'love mais moi-même ne suis pas à mon aise sur le fait de ne parler que d'une seule personne.
Ça peut paraître contradictoire mais c'est en même temps un compromis. L'industrie grand public (mainstream) du jeu vidéo tend vers ça. Et pour arriver à glaner des éléments sur des membres d'une équipe et leur rôle (de manière directe ou indirecte) il faut passer par l'évocation d'un « grand nom ». D'une personnalité publique. Pour moi ça n'a pas été un souci car j'aime beaucoup le personnage joué par Suda51 mais mon regret est là. Ne pas avoir pu assez rentrer dans le détail de la constellation de personnes créatives à Grasshopper.
Pour plusieurs raisons. Déjà il y avait l'impératif rédactionnel d'un grand nom. Comme à l'école il ne faut pas faire de « hors-sujet ». Il y a aussi que certaines personnes ne travaillaient plus à Grasshopper tout simplement. Difficile donc d'avoir des éléments de leur part. Ou cela aurait demandé deux fois plus de temps et de fonds probablement ! Mais un jour qui sait...!
Encore une autre réalité, les souvenirs de Suda51 lui-même pouvaient venir à manquer. Et pourtant il en a une bonne. Et c'est un constat troublant. Au Japon en particulier mais c'est valable dans le monde. Quand on voit le choc qu'a provoqué la mort d'Iwata. Même si on ne savait pas qui il était on le découvrait via des articles lui rendant hommage. Et très vite le point commun est : « Mince on a pas pu écrire une bio ou réaliser un documentaire sur le bonhomme ! ».
Je parle au sens large. Il y a un début de disparitions de personnes majeures. Kenji Eno, un chef de file de l'indé japonais en « inverse » d'Iwata avec sa visibilité médiatique. Mais avec la création comme dénominateur commun. Je ne parle même pas du domaine de la recherche scientifique dans laquelle j'ai un pied également. Et quand je constate les pertes potentielles que sont les décès, déjà humainement bien entendu, et en terme de témoignages historiques sur les jeux vidéo...
Il y a des initiatives comme Pixn'love a qui j'ai fait confiance et inversement sur ce projet mais pas assez encore. Les budgets alloués sont trop moindres où trop focalisés sur des programmes grands spectacles. Et j'ai été vernis avec Pix. Je ne le déplore pas mais une meilleure répartition financière que cela soit pour des formats vidéo, papier ou même à la radio ce serait un vrai progrès pour les jeux vidéo.
Le second regret c'est le syndrome « livre sans fin ». En bref j'avais prévu initialement tout un chapitre voire plusieurs remplis d'analyses plus « pointues » sur les créations Grasshopper et la vision de Suda51 en croisant son travail avec d'autres domaines et tenter des hypothèses comme des analyses où on essayerait de s'interroger sur l'influence de la culture japonaise sur le processus et les versions finales des jeux.
Le travail n'est pas perdu et j'espère qu'il émergera autrement un jour. Mais comme je le disais plus haut ici c'était impossible. Je voulais faire des croisements avec les arts (cinéma, littérature, peinture). Il y a quelques éléments et tentatives dans le livre de Pixn'love mais il y avait le fait de devoir faire une biographie « classique ». Au sens de raconter une histoire d'un créatif. Un côté biopic comme on dit au cinéma.
Personnellement c'était enrichissant à faire car j'avais une autre vision et revoir ma copie m'a vraiment beaucoup apporté car je réalisais ce que c'était de devoir tenir un lecteur en haleine même avec des éléments de vie aussi excentriques que ceux de Suda51.
Après j'envisage un jour de revenir sur un traitement biographique de Suda51 (voire du studio Grasshopper) sans autant m'attarder sur les détails de la vie de l'homme ou en relevant moins d'anecdotes peut-être. Tenter plus d'analyses. Quitte à me casser plus la gueule j'aimerai le faire un jour avec le côté moins confortable qu'une biographie « classique ». Ce qui reste un sacré boulot mais ce serait autre chose !
-Revenons à toi, ton premier contact avec un jeu Ghm et ton jeu coup de cœur ?
Très « classique » : Killer7. Au point que j'avais pris le jeu en japonais sur Gamecube tant il m'avait rendu fou sur les trailers ! Ca ne m'était pas arrivé depuis FFX et les FF 8 et 9 à l'époque ! Et Dragon Ball Butoden 2 sur Super Famicom avant ça !
Bref je m'égare ! Mais c'est marrant cette question parce que y a eu deux rendez-vous manqués. Le second qui aurait pu être mon premier jeu c'était Silver Jiken (The Silver Case ressorti en version remasterisée récemment) car lors de mon premier voyage au Japon il y a presque 15 ans la boite m'avait intrigué...mais je n'ai pas tenté de le prendre par curiosité.
Et Michigan : Report from Hell est souvent passé sous mon nez mais je ne l'ai acheté qu'il y a très peu. Pour la rédaction de l'ouvrage pour être franc, bien que j'y avais joué avant.
Et le jeu culte...je dirai No More Heroes...1 et 2 ! Pas pour tricher mais tout comme je n'envisage pas Kill Bill vol 1 et 2 de manière distincte mais comme un tout. Ils sont aussi intéressants au niveau de la proximité de Suda51 avec le personnage de Travis mais au sens large. C'est le personnage où il y a le moins de distance, de filtre je dirai avec son univers créatif et celle de ses équipes. Il y a une vraie osmose dans le jeu. Pas forcémment explicite mais on peut le ressentir qu'on lise ou pas entre les lignes.
C'est aussi ce que No More Heroes dit du jeu vidéo et de la culture pop qui me fascine. Pas de spoiler mais la fin de chaque No More Heroes est très riche en éléments. La première est très génération « Deadpool » je dirai pour rester vague.
Celle du deux est plus intimiste. Un truc proche de ce qu'on va retrouver dans des délires comme « Dans la peau de John Malkovich » ou « Don Quichotte » pour la littérature et le second livre de Cervantès. Idem je n'en dirai pas plus pour ces deux œuvres là.
Après les No More Heroes sont mon coup de cœur affectif mais Killer7 est incroyable dans sa conclusion et ce qu'il dit du lien encore fort et trouble entre Japon et USA. Et personne n'aurait pu prévoir un truc pareil !
Enfin en bonus un dernier mot sur les Super Fire Pro Wrestling 3 et Special. D'abord car ce sont des jeux de catch qui est un élément de la pop culture qui me fascine. Ensuite parce que même selon des fans des jeux vidéo le spécial reste une référence des jeux de catch. Et enfin, le spécial pour un autre élément : son mode story. Mais promis je n'en dirai pas plus si vous n'êtes pas déjà au courant !
-Tu peux nous avoir une version preview en exclusivité mondiale du prochain No More Heroes ahah ?
Ah mais en fait Suda51 m'a dit qu'en réalité Nintendo était tellement insistant qu'à la base il voulait faire la révélation avec nous sur le groupe GHM. Mais bon business is business...
Blague à part je n'ai jamais été fasciné globalement par les exclus. J'ai été amené à écrire des news jeu vidéo mais je ne m'enflamme. Si je dois le faire j'essaye surtout de remonter le fil créatif et historique du studio qui s'occupe d'un jeu attendu mais j'ai la tête froide. Je suis heureux mais pas un acharné. Plus jeune c'était une autre histoire sur d'autres séries cultes... D'ailleurs c'est drôle car au moment où vous m'avez proposé l'interview, l'annonce d'un No More Heroes sur Switch est tombée. Notre livre est culte rien que pour ça !
Merci beaucoup pour le temps que tu nous a accordé et on attends le bouquin de pied ferme !
Avec plaisir ! J'espère que ça motivera tout simplement des personnes jouant au jeu vidéo (ou non d'ailleurs) et qu'ils s'intéresseront aux anciens jeux de Grasshopper. Pas seulement par plaisir « rétro » mais parce qu'il y a une suite logique assez intéressante dans ce studio et ce malgré des imperfections de jouabilité ou de programmation. Sur certaines œuvres il faut parfois « se faire violence » pour découvrir des trésors d'ingéniosité.
Et c'est ce qui m'a motivé aussi à faire un ouvrage sur Suda51. Car contrairement à d'autres studios il y a vraiment une successions d'éléments intéressants à observer dans son histoire.
Un exemple tout bête pour finir mais je crois que Grasshopper est la seule boite à exploiter un minimum le micro des manettes sur ces dernières générations. De manière classique sur Let It Die avec la voix d'Uncle Death qui nous félicite sur certaines actions. Et en tant que téléphone dans No More Heroes ! Punk is not dead qu'on vous dit !